En janvier 2024, le gestionnaire d’actifs BlackRock acquiert le fonds d’infrastructure Global Infrastructure Partners dans le cadre d’une transaction de 12,5 milliards de dollars.
Le plus grand gestionnaire d’actifs au monde sait reconnaître une opportunité lorsqu’il en voit une. En l’occurrence, il s’agit d’un déficit d’investissement dans les infrastructures qui devrait atteindre 15 000 milliards de dollars d’ici à 2040.
Les investissements dans les infrastructures atteindront un point d’inflexion en 2024, car les gouvernements et les entreprises reconnaissent le besoin croissant d’une nouvelle génération d’installations à l’épreuve du temps. Il s’agit notamment de la production d’énergie verte, de la conservation de l’eau, des liaisons de transport public et des solutions de connectivité numérique.
Le besoin d’investissement
Les infrastructures peuvent fournir un bien public, comme de l’eau propre, ou renforcer l’activité économique, comme une nouvelle installation portuaire, voire les deux à la fois. Mais beaucoup de ces projets nécessitent une dépense initiale considérable pour des bénéfices qui peuvent prendre des années à se matérialiser.
Dans ces conditions, l’argent public ne peut parfois pas aller plus loin. Des investissements privés sont souvent nécessaires pour combler les déficits de dépenses. Quelque 120,6 milliards de dollars de capitaux ont été levés pour l’investissement dans les infrastructures en 2023, soit 43 % de plus qu’en 2013. Bien que, à l’instar d’autres classes d’actifs, la collecte de fonds pour les infrastructures ait diminué par rapport aux niveaux de 2022, l’appétit à long terme pour le secteur reste important. Une enquête du Forum officiel des institutions monétaires et financières d’octobre 2023 indique que 40 % des fonds de pension publics prévoient d’augmenter leurs investissements dans les infrastructures au cours des 12 à 24 prochains mois.
Croissance de la collecte de fonds pour les infrastructures, 1990 – 2023
Source: Recherche Savills avec Realfin
Les projets d’infrastructure créent des emplois, tant au niveau de leur construction initiale que des entreprises qui se développent dans leur sillage. Ces projets améliorent également la mobilité, les déplacements et l’accès aux services. Par ailleurs, l’amélioration des réseaux électriques et de la connectivité numérique facilite l’expansion des entreprises.
Les investissements dans les infrastructures peuvent également aider les pays à atteindre leurs objectifs en matière de climat, grâce à des projets d’énergie verte, à la modernisation des infrastructures existantes pour réduire leur empreinte carbone et à des installations de captage et de stockage du carbone, entre autres. Les investissements bleus/verts, comme les systèmes de gestion de l’eau, peuvent contribuer à atténuer les effets des conditions météorologiques extrêmes.
Bien entendu, toutes les infrastructures ne sont pas respectueuses du climat, mais les projets verts sont de plus en plus souvent ceux auxquels les gouvernements et les investisseurs privés souhaitent allouer des fonds. Dans une enquête de l’université Cornell (Etat de New York) sur les intentions d’investissement des investisseurs institutionnels, 40 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles étaient susceptibles d’engager davantage de capitaux dans les énergies renouvelables et les projets de transition au cours des prochaines années.
Opportunités immobilières
Le lien entre les dépenses d’infrastructure et le développement de l’immobilier est évident. Des centres d’affaires bien reliés attirent des travailleurs qualifiés, ce qui favorise la réussite et la croissance. Les nouvelles installations portuaires créent des opportunités d’exportation. Le haut débit ultrarapide favorise l’expansion de l’économie numérique.
Les nouvelles infrastructures tendent à attirer de nouvelles entreprises et de nouveaux travailleurs, créant ainsi des grappes d’entreprises. Là où l’infrastructure mène, les bureaux, les entrepôts, les magasins et les développements résidentiels suivent généralement.
Même à un stade précoce, un projet de transport ou d’énergie correctement financé donne aux promoteurs immobiliers et aux investisseurs des certitudes qui leur permettent de faire avancer leurs propres projets. Pour les occupants actuels et potentiels, les investissements dans les infrastructures représentent une preuve de confiance dans leur région.
Les risques liés à l’investissement dans les infrastructures ont tendance à se concentrer sur leur nature à long terme – les conditions politiques et économiques peuvent changer considérablement en cinq ou dix ans, entraînant l’abandon de projets, leur déclassement ou des problèmes financiers. Les investisseurs et les promoteurs doivent également prendre en compte les risques posés par le changement climatique lorsqu’ils choisissent où allouer leurs fonds.
Dépenses d’infrastructure en pourcentage du PIB
Source: Recherche Savills, avec Global Infrastructure Hub
Opportunités dans les pays en développement
Les risques de ce type ne sont pas de nature à décourager qui que ce soit, en raison de l’ampleur des opportunités liées aux infrastructures. C’est particulièrement vrai dans les pays en développement, qui manquent parfois des nécessités de base de la vie quotidienne et de l’activité économique. Ces pays ont tendance à investir une part plus importante de leur PIB dans les infrastructures, ce qui offre aux investisseurs de multiples possibilités d’accès au marché.
D’après nos recherches, six des dix premiers pays en termes de pourcentage du PIB consacré aux infrastructures se trouvent en Afrique, trois en Asie et un au Moyen-Orient. Investir dans les infrastructures des pays en développement offre des rendements plus élevés, mais avec un risque plus important.
Dans les pays développés, les projets d’infrastructure sont souvent axés sur le remplacement, la modernisation ou la protection de ce qui existe déjà, ou sur la promotion de la durabilité.
Quel que soit le lieu, l’investissement dans les infrastructures n’est pas nécessairement une activité passive. Dans de nombreux cas, les investisseurs experts participent activement aux projets, contribuant à rendre les installations plus durables ou plus efficaces, tout en augmentant la valeur de leur investissement.
ÉNERGIE VERTE ET TRANSITION ÉCOLOGIQUE
Dogger Bank (Royaume-Uni)
Dogger Bank, situé au large de la côte nord-est du Royaume-Uni, sera le plus grand parc éolien offshore du monde. Ses 277 turbines, dont l’achèvement est prévu pour 2025-2026, fourniront suffisamment d’énergie verte pour alimenter six millions de foyers.
Pendant la phase de construction, l’utilisation par Dogger Bank de fournisseurs locaux devrait conduire au développement d’espaces de fabrication et d’entreposage, ce qui revitalisera la zone locale. Une fois achevé, le projet soutiendra les emplois dans les centrales électriques et les équipes de maintenance, tout en fournissant l’énergie verte dont les foyers et les entreprises ont besoin.
Northern Lights CCS (Norvège)
Northern Lights est un projet à grande échelle de captage et de stockage du carbone en Norvège. Il prélève le carbone de l’air à proximité des cheminées des industries polluantes et le pompe dans des réservoirs de gaz naturel épuisés situés dans le sous-sol.
Northern Lights utilise le transport maritime pour acheminer le CO2 vers la zone de stockage et des pipelines pour l’acheminer vers le stockage souterrain. D’autres projets de capture du carbone utiliseront des pipelines pour transporter le carbone sur de longues distances. Dans les deux cas, il est probable que les industries se regroupent autour des zones côtières pour accéder aux ports et aux terminaux de pipelines.
Rob Asquith, Directeur et Responsable de la planification des infrastructures nationales chez Savills, déclare : « Pour le transport maritime, la création d’un nouveau secteur de marchandises en vrac nécessitera des biens immobiliers dans les ports pour le stockage et le chargement du dioxyde de carbone. Il faut qu’il y ait suffisamment de CO2 pour remplir le navire à son arrivée et il faut donc le stocker. Outre les usines de capture du carbone, il faudra une installation de liquéfaction si le CO2 n’est pas transporté par pipeline. Les émetteurs se regrouperont probablement autour de cette infrastructure pour s’assurer que leurs émissions de carbone peuvent être efficacement combinées avec celles des autres et transportées jusqu’au stockage géologique. »
DIGITAL
Les centres de données de Bombay et Madras (Chennai)
L’infrastructure numérique permet aux personnes et aux entreprises de participer pleinement à l’économie numérique, mais il peut être difficile de répondre à la demande. L’Inde produit déjà 1 000 milliards de mégaoctets de données par jour et certaines entreprises ont du mal à accéder à la capacité dont elles ont besoin.
Pour remédier à ce problème, deux nouveaux « méga » centres de données sont en cours de construction à Bombay et à Madras. Ils stimuleront la participation numérique en Inde et seront reliés à 300 autres centres dans le monde.
Les centres de données ultrarapides permettent aux entreprises de faire évoluer leurs opérations à volonté, en tirant parti du cloud, de la robotique, de l’IA et d’autres technologies de pointe, et permettent des installations de commerce électronique. Tout cela stimule la croissance. L’infrastructure numérique encourage également le développement économique de régions plus éloignées, ce qui entraîne une plus grande demande de logements et d’espaces de bureaux.
L’usine de semi-conducteurs Intel et Brookfield
Le gouvernement américain a recours à la législation et à des incitations financières pour encourager la délocalisation de la fabrication de semi-conducteurs essentiels. Les subventions comprennent un paiement direct de 8,5 milliards de dollars au fabricant de puces Intel pour augmenter sa capacité de production de semi-conducteurs en Arizona. Intel s’est, également, associé au gestionnaire d’actifs Brookfield Infrastructure pour obtenir des investissements du secteur privé.
Les semi-conducteurs sont essentiels pour les industries de haute technologie, et les fabricants américains récolteront les fruits d’un approvisionnement stable à terre. Les industries pourraient se délocaliser autour des centres de fabrication de semi-conducteurs. Les matériaux et les composants nécessiteront des installations d’entreposage et de transport, et les travailleurs auront besoin de logements.
LA GESTION DE L’EAU
Marina Barrage (Singapour)
La préservation et l’approvisionnement en eau deviennent encore plus vitaux sur une planète qui se réchauffe. Le projet Marina Barrage garantit à Singapour un approvisionnement sûr en eau potable, tout en offrant une série d’autres avantages liés à l’eau.
Le barrage crée une grande masse d’eau potable en utilisant une partie de la baie de Marina comme point de collecte de l’eau de pluie fraîche provenant de toute l’île. La baie sert également à atténuer les inondations, protégeant ainsi les projets immobiliers dans les zones de faible altitude.
Le barrage de Marina est vital pour l’avenir de Singapour. Environ un tiers du territoire de Singapour se trouve à moins de 10 mètres au-dessus du niveau de la mer et certains de ses centres d’affaires les plus importants sont situés sur la côte. Des projets comme Marina Barrage contribueront à atténuer le risque d’inondation tout en garantissant l’approvisionnement en eau douce.
TRANSPORT
Le programme Sagarmala (Inde)
Sagarmala est un programme national conçu pour moderniser et rationaliser les ports et les voies navigables de l’Inde, et pour accroître les exportations en réduisant les coûts et en facilitant l’accès.
Il s’agit d’une entreprise gigantesque, comprenant 839 projets distincts, dont 234 visent à moderniser les ports et 279 à mieux relier ces ports aux centres économiques de l’intérieur du pays. Quatre-vingt-un autres projets renforceront l’activité économique autour de la vaste frontière maritime de l’Inde. Le transport maritime côtier et le transport fluvial représentent 231 autres projets, dont 14 sont axés sur l’industrialisation portuaire.
Dans leur sillage, de nouveaux développements pourraient inclure le regroupement d’entrepôts et d’entreprises de logistique autour d’installations portuaires modernes, et l’expansion d’entreprises dans des centres économiques qui bénéficieront d’un meilleur accès aux marchés nationaux et internationaux.
Srinivas N, Directeur Général de l’industrie et de la logistique chez Savills India, déclare : « L’initiative Sagarmala vise à relier les ports indiens aux pôles industriels, en améliorant le transport, la communication et la logistique. Cette initiative stimulera les exportations, réduira les coûts de transport, modernisera les capacités portuaires, développera les zones économiques côtières et renforcera la sécurité maritime. Les États côtiers bénéficieront directement de ce programme – grâce à l’augmentation des activités industrielles et d’entreposage – tandis que les autres États en bénéficieront indirectement.»
L’aéroport International Long Thành (Hô Chi Minh Ville – Viêt Nam)
Le Viêt Nam a augmenté ses dépenses d’infrastructure de 2,5 % du PIB en 2016 à 6 % en 2020, alors qu’il s’engage à créer un réseau de transport national complet d’ici 2045.
Ce réseau comprendra 5 000 km de voies rapides, un port en eau profonde et deux lignes ferroviaires à grande vitesse. La pierre angulaire sera l’aéroport de Long Thanh, un nouveau centre de vols nationaux et internationaux accueillant 100 millions de passagers par an et transportant 5 millions de tonnes de fret. La première des quatre phases sera réalisée pour cette année et l’aéroport devrait être pleinement opérationnel d’ici 2035.
La construction a déjà stimulé le développement immobilier dans le secteur du tourisme, de plus en plus important au Viêt Nam. L’hôtel Hilton Saigon, qui compte 32 étages, a ouvert ses portes à la fin de l’année 2023. Ainsi le développement de l’hôtellerie et des commerces de luxe devrait se poursuivre dans la ville et ses environs à mesure que l’aéroport deviendra opérationnel.
La capacité de fret supplémentaire facilitera également la vie des entreprises de fabrication et de logistique, ce qui entraînera une demande d’espaces industriels et d’entreposage.