En 2026, le Musée des migrations de Londres ouvrira ses portes dans ses locaux permanents de la City de Londres. Réparti sur trois étages, le musée offrira 30 000 m² d’espace d’exposition et d’événements consacrés à l’histoire des personnes qui se sont installées en Grande-Bretagne et ont contribué à la façonner. Outre le café et la boutique du musée, le projet comprendra également des logements pour étudiants.
Le promoteur Dominus Real Estate prendra en charge les coûts de fonctionnement du musée pendant les trois premières années, et fera don d’une somme de 500 000 livres sterling pour couvrir les frais de personnel.
À bien des égards, ce projet est à l’avant-garde de l’immobilier à impact social ; son objectif sociétal est inscrit dans ses plans. Cependant, de nombreux promoteurs, investisseurs et autres parties prenantes doivent encore changer de mentalité et considérer la valeur sociale comme un investissement et non comme un coût.
Les quatre étapes de l’adoption de la valeur sociale
Il est difficile de donner un prix à quelque chose d’aussi intangible que la valeur que l’immobilier peut apporter à une communauté. Il y a dix ans, les préoccupations environnementales – l’ESG – semblaient elles aussi nébuleuses et non quantifiables. Aujourd’hui, elles constituent un impératif commercial. Chez Savills, nous pensons qu’il s’agit d’un processus d’adoption en quatre étapes.
1. IMPORTANCE: répondre à un besoin
La prise de conscience croissante du changement climatique et de la diminution des ressources naturelles de la Terre a placé la durabilité environnementale sous les feux de la rampe, obligeant tout le monde, y compris le secteur immobilier, à la considérer comme une composante à part entière.
Aujourd’hui, les aspects sociaux de l’ESG ont pris de l’importance dans l’immobilier. Les problèmes sociaux mondiaux tels que la pauvreté, le manque de logements abordables et l’inégalité sociale croissante obligent les parties prenantes à reconnaître que leurs investissements ont un impact plus large et plus profond sur la société, et que cet impact peut être positif. Les pratiques socialement responsables peuvent et doivent être intégrées dans la manière dont les entreprises immobilières opèrent et dont les bâtiments sont gérés.
« Le concept d’empreinte environnementale d’un bâtiment est largement compris. Nous devons maintenant considérer l’empreinte sociétale de l’immobilier comme tout aussi fondamentale », déclare Wesley Ankrah, Directeur de la valeur sociale chez Savills. « Comment les investisseurs peuvent-ils favoriser des communautés inclusives et dynamiques, promouvoir l’équité sociale et aborder des questions telles que le logement abordable et l’accès aux soins de santé, à l’éducation et à l’emploi ? »
Dans l’immobilier commercial, la valeur sociale peut provenir du recrutement – en embauchant d’anciens détenus, par exemple, ou en encourageant davantage de femmes à revenir sur le marché du travail après un congé de maternité en mettant à leur disposition des crèches sur place.
Les bureaux, déjà en transition après la pandémie, peuvent intégrer davantage de flexibilité dans leur offre pour attirer les meilleurs jeunes professionnels, qui jugent de plus en plus les employeurs potentiels en fonction de critères sociaux.
Aux États-Unis, le programme de location-achat d’Alliance donne aux salariés à revenus moyens la possibilité de louer leur logement à un prix inférieur de 20 % à celui du marché. L’argent qu’ils économisent au cours des deux à cinq premières années est affecté à la constitution d’un dépôt de garantie pour un prêt hypothécaire. Les projets d’Alliance visent des zones où il existe des possibilités d’emploi pour les ouvriers et les employés, de bonnes écoles et de bons moyens de transport, mais où il y a un manque de logements de bonne qualité.
En intégrant des considérations sociales comme celles-ci dans leurs stratégies immobilières, les investisseurs renforcent la réputation et la valeur de la marque d’un projet, contribuent à la construction d’environnements urbains durables et vivables, et créent de la valeur dans le secteur immobilier. Cela permet de réduire les risques liés aux futurs développements au stade de la planification, car leur impact social – et leur valeur sociale – peuvent être démontrés de manière tangible.
2. ACCEPTATION : de l’utile à l’indispensable
Les préoccupations environnementales étaient autrefois accueillies avec scepticisme. Cela a pris fin lorsque le lien entre l’activité humaine et la dégradation de la planète est devenu impossible à ignorer.
Ce changement de perception a été favorisé par le développement d’outils d’étalonnage permettant d’évaluer et de comparer l’effet d’une construction respectueuse de l’environnement sur la valeur et la performance des actifs. Les investisseurs qui ne reconnaissent pas l’impact environnemental de leurs bâtiments risquent désormais de se laisser distancer par leurs concurrents.
Il pourrait bien en être de même pour la valeur sociale dans les années à venir. Ceux qui reconnaissent l’importance d’investir dans des moyens de résoudre des problèmes sociétaux peuvent être en avance sur la courbe – comme l’ont été les investisseurs et les architectes des premiers bâtiments certifiés BREEAM. L’acceptation par le haut, la reconnaissance du fait que répondre aux besoins de la communauté locale peut être financièrement et socialement bénéfique, ainsi que la demande des occupants peuvent contribuer à faire avancer les choses – et à stimuler la demande des occupants.
L’utilisation temporaire, par exemple, par laquelle les promoteurs autorisent l’utilisation temporaire ou « pop-up » de l’espace avant que des locataires plus permanents ne s’y installent, peut contribuer à impliquer la communauté locale avant même que le projet n’ait atteint le stade de la planification. Cela peut contribuer à la réputation du secteur de l’immobilier. Elle permet également d’instaurer un climat de confiance et des relations positives avec la communauté locale.
3. MESURER ET QUANTIFIER : un point de friction
La question de la mesure de la valeur sociale est un point d’achoppement. En Asie, Sam Crispin, directeur principal de la durabilité régionale et ESG, explique que, si les promoteurs et les gestionnaires d’actifs s’efforcent depuis longtemps d’investir dans la communauté locale, « ce qui reste rare, c’est une approche plus stratégique de la définition des objectifs, de la mesure des intrants et de l’enregistrement des résultats ».
Au Royaume-Uni, il existe de nombreuses méthodologies spécialisées dans différents domaines de la valeur sociale, basées sur les orientations du livre vert du ministère des finances pour l’évaluation des politiques, des programmes et des projets, mais l’absence d’un langage commun est source de confusion.
Le système TOM de la valeur sociale est un point de départ utile pour le calcul des coûts. Ce système est largement utilisé par les collectivités locales, mais il ne permet pas encore une évaluation plus approfondie de l’impact. Il y a aussi HACT (Housing Association Charitable Trust), l’association caritative du secteur du logement social, qui utilise la banque britannique de la valeur sociale comme baromètre et se concentre sur le bien-être individuel comme principal déterminant de l’impact social.
Loop, un calculateur de valeur sociale, aide les organisations à concevoir leur stratégie de valeur sociale à l’aide de la norme nationale de valeur sociale (SVS). Enfin, Thrive, une plateforme logicielle qui utilise la norme d’évaluation de l’impact, prend en compte 121 paramètres pour aider les entreprises à donner une valeur plus concrète à leurs activités de valeur sociale.
Toutefois, comme ils ne sont pas nécessairement pertinents pour tous les projets – et donc comparables entre eux – leur portée et leur utilité sont limitées. Contrairement à l’impact environnemental, dont l’évaluation est plus binaire, la valeur sociale concerne les avantages pour la communauté – et chaque communauté est différente.
Certains pays ont lancé des banques de valeur sociale à code source ouvert. L’Australian Social Value Bank (ASVB), lancée en 2017 par l’entreprise sociale à but non lucratif Alliance Social Enterprises (ASE), a produit l’ensemble de mesures de la valeur sociale le plus cohérent à ce jour. L’architecte Hayball, basé à Melbourne, a fait équipe avec l’ASVB en 2022 pour mener une étude pilote primée qui a utilisé des données quantitatives et qualitatives pour démontrer comment leurs conceptions pouvaient avoir un impact sur les utilisateurs de leurs bâtiments.
En Italie, la Social Value Italian Association se concentre sur l’impact social des initiatives de régénération urbaine axées sur la culture, afin de s’assurer qu’elles ont un impact durable et revitalisant sur les quartiers urbains. Elle a constaté que la régénération est souvent menée par une seule organisation – généralement à but non lucratif – plutôt que par un consortium.
L’association cite des projets tels que iMorticelli, installé dans une ancienne église abandonnée à Salerne, comme des exemples remarquables de création d’un centre culturel dynamique à vocation sociale. L’ambition des trois architectes à l’origine d’iMorticelli n’était pas seulement de concevoir des bâtiments, mais aussi de prêter attention aux personnes qui « habitent et font les espaces ».
4. GOUVERNANCE ET RÉGLEMENTATION : comment éviter le ‘social value-washing’ ?
La réglementation dans le domaine de l’environnement a conduit à de lourdes amendes pour le « greenwashing » des entreprises, comme la pénalité de 30 milliards de dollars infligée à Volkswagen dans le cadre du « Dieselgate ». Pour éviter les pièges du « social-value washing », le volet S de l’ESG doit suivre une voie similaire.
Des méthodologies cohérentes en matière d’impact social et des pratiques de collecte de données sont essentielles à cet égard. Leur absence ne fait qu’encourager les déclarations fausses ou trompeuses sur la valeur sociale d’un projet.
Une fois que le cadre réglementaire de la valeur sociale sera comparable à celui de l’aspect environnemental, des rapports significatifs sur la valeur sociale des projets pourront être établis parallèlement aux mesures environnementales. Cette transparence encouragera les organisations de tous les secteurs de l’immobilier à investir dans la valeur sociale. Elle contribuera à ce que les bâtiments soient reconnus pour leur impact social positif. En retour, cela pourrait augmenter les rendements, comme cela a été le cas dans le domaine de l’environnement.
Investir dans la valeur sociale dès le début d’un projet, c’est assurer la viabilité et la rentabilité de ce projet pour l’avenir. Il est beaucoup plus facile et plus rentable de concevoir des espaces qui tiennent compte de la valeur sociale et des utilisations futures dès le départ que de créer les bons espaces a posteriori.
Les attentes des locataires détermineront en fin de compte le succès de l’immobilier commercial. De nombreux bâtiments commerciaux qui ne tenaient pas compte des préoccupations environnementales il y a une ou deux décennies ne peuvent plus être loués à des prix élevés. Les locataires n’en veulent plus.
Les propriétaires doivent maintenant rénover ou réaffecter ces bâtiments pour qu’ils restent commercialement viables. À l’avenir, les bâtiments construits sans que l’impact social soit au cœur de leur activité risquent de subir le même sort. Ceux qui investissent aujourd’hui dans la valeur sociale seront considérés comme des innovateurs et des leaders.
La croissance de la valeur sociale
Les promoteurs et les investisseurs doivent intégrer la valeur sociale dans le cycle de vie d’un projet. De la conception à la fin de l’utilisation, en passant par la construction et l’exploitation, un projet doit être bénéfique à la société dans son ensemble.
L’intégration de cette philosophie dans les organisations nécessite un changement culturel. Les entreprises doivent donner la priorité à la valeur sociale dans leurs stratégies, en s’alignant sur la communauté au sens large.
La clé pour les entreprises est d’apporter une valeur sociale par le biais d’un véritable engagement et d’un investissement dans le bien-être de la communauté. Il peut s’agir d’un parking payant sur le site ou d’un pourcentage des frais de service des résidents destiné à financer des initiatives communautaires. Ces programmes financent la communauté et favorisent un engagement direct et continu entre les résidents.