Dans le cinquième volet de notre série de questions-réponses Office in Equilibrium, Cyril Robert, Head of Research au sein de Savills France, explore les raisons qui sous-tendent la baisse de la consommation de bureaux dans la Capitale. Le travail hybride n’en est pas la seule cause.
Au cours des douze derniers mois, nous avons assisté à une évolution globale vers un modèle de travail hybride plus équilibré. De nombreuses entreprises encouragent leurs employés à revenir au bureau, conscientes de l’importance de maintenir la créativité, la productivité et la cohésion d’équipe dans un contexte de travail à distance.
En France, où le télétravail était moins répandu que dans les pays anglo-saxons, cette transition a été moins marquée mais reste notable. La tendance vers une répartition plus équilibrée entre travail à domicile et au bureau a influé sur l’utilisation des espaces de travail au cours des deux dernières années. La préférence pour des espaces mieux optimisés, bien connectés aux transports et des solutions flexibles s’est accrue.
Même si elle est réelle, ces solutions ne se réduisent donc pas à la simple réduction de la taille des espaces de travail. La baisse des taux d’occupation les lundis et vendredis est en effet compensée par une utilisation de l’ordre de 70 % en milieu de semaine.
Si la baisse de la surface moyenne des espaces pris à bail s’est confirmée au cours de l’année écoulée, c’est que le flex office s’est combiné à une incertitude économique persistante, qui affecte la demande et l’activité locative. Cette tendance est donc multifactorielle et devrait se maintenir pour l’avenir. Pour la région Île-de-France, cela devrait se traduire par une activité locative se maintenant en dessous de la barre des 2 millions de m² par an en 2024 et au-delà.
Quelles sont les tendances que vous observez côtés utilisateurs ?
La location de bureaux en Ile-de-France a fortement ralenti tout au long de l’année 2023 – en baisse de 17 % par rapport à l’année précédente et de 14 % par rapport à la moyenne décennale.
Cette baisse a touché tous les segments du marché, en particulier celui des grandes surfaces (plus de 5 000m2), tant en volume qu’en nombre de transactions. La taille moyenne unitaire des grandes transactions a diminué, passant de 13 500 à 11 100 m²
L’activité locative s’est légèrement accélérée au cours du dernier trimestre 2023, mais la demande globale reste plus faible que d’habitude. Le début 2024 augure d’une timide amélioration et d’un réveil des grandes transactions, qui restent à confirmer.
Malgré le ralentissement observé en 2023, le quartier central des affaires de Paris reste attractif, avec des niveaux d’activité locative légèrement supérieurs à la moyenne décennale. Les occupants privilégient de plus en plus les espaces de bureaux de qualité, de Grade A, dotés d’une certification environnementale, sociale et de gouvernance (ESG), d’installations pour les cyclistes et de bornes de recharge pour les véhicules électriques. Cela reflète un changement dans la façon dont les entreprises abordent l’espace de travail et les besoins des employés.
Comment la mise en place de normes environnementales progresse-t-elle ?
Ces dernières années, des normes environnementales de plus en plus strictes ont encadré la construction et la rénovation des immeubles de bureaux.
Les progrès dans l’adaptation du parc de bureaux ont ainsi été notables même si 43% seulement des 56 millions de m² de bureaux d’Ile-de-France répondent à un label environnemental et que, parmi ces bâtiments labélisés, certains devront être modernisés à nouveau pour être mis en conformité avec les normes les plus récentes.
Le processus de verdissement des immeubles de bureaux est donc inachevé mais il gagne du terrain, tiré par la demande des investisseurs pour s’aligner sur les objectifs ESG. Les investisseurs ayant obtenu le label ISR (investissement socialement responsable), qui promeut les pratiques financières durables et dont le champ a été étendu à l’immobilier en 2020, sont de plus en plus nombreux et sont moteurs en la matière.
L’impact est significatif sur un segment de marché tel que celui du Value-Add. Les propriétaires d’immeubles qui nécessitent des travaux importants ou qui ne répondent pas aux critères ESG sont confrontés à un dilemme : investir dans des rénovations coûteuses ou retirer les actifs du marché locatif afin d’éviter la dégradation de leur performance ISR. Les propriétaires auront tendance à concentrer les redéveloppements et les mises aux normes ESG sur les actifs qu’ils jugent stratégiques dans leur patrimoine. Cela peut conduire à la volonté d’accélérer les ventes des autres actifs non conformes, quitte à concéder des prix inférieurs.
Comment la dynamique de l’offre et de la demande est-elle susceptible d’évoluer ?
Une tendance notable en Ile-de-France est la réduction du volume des surfaces prises à bail, ce qui créé un surplus croissant d’espaces disponibles, particulièrement en surfaces de seconde main. Ces dernières représentent aujourd’hui plus de 70 % du stock disponible dans la région.
Ce surplus soulève des questions quant à la viabilité et aux perspectives de ces bâtiments, qui ne répondent plus toujours aux besoins des occupants. Les propriétaires et les investisseurs devront réévaluer leurs stratégies pour faire face à ce paysage changeant et envisager soit la réaffectation de ces immeubles, soit la mise à niveau afin de pouvoir répondre à la demande de bureaux.
Dans le même temps, les valeurs locatives prime dans les quartiers centraux ont considérablement augmenté, entraînant un ralentissement de l’activité locative. Les banlieues proches qui offrent loyers raisonnables et accessibilité pourraient ainsi devenir plus populaires auprès des locataires.
Du côté de l’offre, le ralentissement de la construction prévu au-delà de 2024 laisse présager une pénurie d’immeubles de bureaux neufs. Les disparités entre les loyers indexés et les valeurs réelles du marché nécessiteront des ajustements stratégiques pour les entreprises basées à Paris, ce qui pourrait conduire à des délocalisations des quartiers centraux et à des renégociations sur d’autres sites.
En conséquence, les parties prenantes doivent naviguer dans la dynamique de l’offre et de la demande tout en se positionnant stratégiquement pour capitaliser sur les opportunités émergentes dans le marché des bureaux parisiens en pleine évolution.
Quels sont les défis et les opportunités du processus de reconversion des immeubles de bureaux ?
Le débat actuel sur la reconversion des immeubles de bureaux est lié à des défis qui font l’actualité, tels que l’augmentation de la vacance, le vieillissement du parc de bureaux et une crise du logement caractérisée par une offre insuffisante dans les grandes villes françaises, en particulier à Paris.
Le constat est donc assez simple : on a trop de surfaces d’un côté, pas assez de l’autre, le tout dans un contexte marqué par l’entrée en vigueur de la « zéro artificialisation nette » qui vise à freiner l’étalement urbain, en limitant le développement aux zones déjà construites. La reconversion d’immeubles de bureaux en logements peut apparaître comme une solution potentielle dans ce contexte. Elle attire d’ailleurs l’attention des investisseurs et catalyse la création de fonds spécialisés.
Toutefois, cette transformation se heurte à divers obstacles techniques et politiques. La profondeur excessive de certains immeubles de bureaux, par exemple, pourrait limiter les possibilités de reconversion, car certains logements manqueraient de lumière naturelle ou devraient être immenses pour atteindre les fenêtres du périmètre. Et si les autorités nationales peuvent plaider en faveur de la transformation d’usage et de la reconversion en logements, les municipalités locales responsables de l’octroi des permis de construire sont souvent plus frileuses et donnent la priorité aux espaces de bureaux pour des raisons fiscales.
En dehors de la résidentialisation, il y a des pistes alternatives qui se dessinent. L’une des voies possibles est la « renaturation » du foncier des bâtiments mal situés en vue d’un développement de l’agriculture urbaine. Elle peut permettre de constituer une compensation pour des programmes de construction neuve sur d’autres emprises, un peu comme il y a un marché des quotas carbone. Ces bâtiments obsolètes peuvent également constituer une sorte de banque d’organes constructive, en devenant une réserve de matériaux de construction. Bien que politiquement attrayante, cette renaturation n’a été jusqu’ici explorée que timidement dans le cadre de projets de réaménagement de friches industrielles, et pour une période transitoire et temporaire.
Ces transformations montrent en tous cas les interactions complexes entre les cadres réglementaires, les demandes du marché et les considérations environnementales, façonnant la trajectoire future des stratégies de développement urbain.