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Rénover ou réutiliser ? Pourquoi le bureau de demain doit se surpasser

Le parc mondial de bureaux doit s'adapter pour répondre aux besoins des employeurs, des employés et des villes. Cela signifie que ses propriétaires ont des défis à relever et des décisions à prendre

Kelcie Sellers
Associate Director, Savills World Research

Le changement structurel observé sur le marché des bureaux ces dernières années n’est pas simplement le résultat des politiques de travail à domicile imposées par la pandémie. Il reflète également un rééquilibrage plus large des priorités et des modes de vie de la main-d’œuvre, ainsi que des préoccupations urgentes en matière d’environnement, de société et de gouvernance (ESG).

Une grande partie du parc de bureaux existant dans le monde doit s’adapter pour répondre à l’évolution des besoins des entreprises, des individus et des villes. Les propriétaires ont donc des décisions à prendre. Ceux qui sont convaincus de l’attrait de leur parc bien situé devront encore innover pour séduire davantage les collaborateur. À l’autre extrémité du spectre, ceux qui ont dans leur portefeuille des immeubles « rincés » devront donner une seconde vie à leur espace et donc le réaménager pour réussir sa commercialisation.

Dans les deux cas, il est impératif de respecter des normes environnementales élevées : à la fois pour rester pertinent aux yeux des occupants et pour répondre aux exigences réglementaires croissantes.

Des différences mondiales dans l’occupation des bureaux

Bien que le débat sur l’évolution du bureau soit mondial, son impact est loin d’être uniforme. Les différences culturelles, le coût du logement, les frais de déplacement et les normes sociales influencent un paysage dynamique en Europe, comme en Asie et aux Amériques.

L’Asie affiche les taux d’occupation de bureaux les plus élevés, avec une moyenne de 88 %, suivie par l’Europe. Les États-Unis sont à la traîne, avec des villes comme San Francisco et Los Angeles où le taux d’occupation reste encore inférieur à 50 %.

Simon Raper, responsable chez Savills de la stratégie en matière de lieux de travail pour l’APAC (Asie-Pacifique) et Singapour, déclare : « Même au sein d’une même organisation, il faut faire preuve de flexibilité, car les nuances culturelles nécessitent des ajustements d’un pays à l’autre. Il est essentiel pour les entreprises de comprendre ces différences, d’autant plus que certaines d’entre elles envisagent de déménager pour répondre à l’évolution des exigences en matière d’aménagement des lieux de travail, aux améliorations environnementales dues à des réglementations plus strictes ou aux demandes d’emploi liées à la reprise économique. Par exemple, en Chine et à Hong Kong, la vie intergénérationnelle et les maisons plus petites poussent les gens à se rendre au bureau. En revanche, au Japon, les modèles de travail traditionnels coexistent avec des arrangements flexibles en raison des coûts élevés des trajets domicile-travail et les jeunes générations adoptent cette flexibilité. En Europe, l’Allemagne et la France sont principalement restées au bureau car la préférence culturelle va à l’interaction et à la collaboration en face-à-face, même si les jeunes générations font pression pour plus de flexibilité. En revanche, en Suède, des politiques innovantes telles que les « vendredis sans réunion » reconnaissent l’importance de l’autonomie et de la flexibilité sur le lieu de travail.

Taux moyen d’utilisation des bureaux par région

Source: Recherche Savills

Des aménagements de bureaux pour « mériter le déplacement »

Aux États-Unis, où les taux de présence sont les plus bas du monde, les entreprises s’efforcent de « mériter le déplacement ». Elles misent sur des bureaux riches en équipements et en avantages. Ici, le temps de trajet et les prix de l’immobilier sont des facteurs clés, car de nombreux salariés ont déménagé dans des zones plus abordables et dans des maisons plus grandes pendant la pandémie.

Pour réussir dans cet environnement, les entreprises ont besoin que leurs bureaux agissent comme un aimant pour attirer et retenir les talents. Créer des espaces qui répondent aux besoins des employés est un impératif stratégique. Les jeunes générations privilégient le bien-être, le développement professionnel et les expériences enrichissantes. Tous ces éléments doivent être présents si l’on attend d’eux qu’ils se rendent régulièrement au bureau.

Les entreprises dont les espaces de travail sont conçus pour donner la priorité à la flexibilité, à l’échelle humaine et à la communauté peuvent s’attendre à des améliorations en matière de recrutement, de fidélisation, de productivité et d’objectifs. De nombreuses entreprises adoptent et encouragent déjà ces tendances, notamment Savills à New York (voir encadré).

À Singapour, l’assureur Munich Re a créé une approche « Together at work », qui soutient le travail à distance, mais reconnaît l’importance du bureau comme lieu de rassemblement des équipes. Il a combiné des pratiques flexibles de travail avec un lieu dans lequel les employés se sentent responsabilisés et connectés. Cela inclut un choix d’espaces de travail, des postes de travail ajustables et des zones communautaires accessibles et inclusives.

Évasion à la campagne et espaces de bureaux à usage mixte

Au Portugal, le cadre « champêtre » du parc de bureaux de Quinta da Fonte est aujourd’hui un argument de vente plus important que lors de sa création en 1995. Ils soulignent également les cinq piliers de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Il s’agit notamment d’un environnement riche en équipements, avec des restaurants, une salle de sport et un spa, et de la promotion d’une communauté prospère en encourageant les entreprises voisines à se mélanger.

Aux États-Unis, le gestionnaire d’investissement Jamestown utilise une combinaison d’espaces communs technologiques, d’équipements de type conciergerie et d’aménagements créatifs pour développer des lieux de travail enrichissants. À Raleigh Iron Works, en Caroline du Nord, la rénovation d’aciéries et d’entrepôts historiques permet aux employés de bureau de faire partie d’un pôle d’innovation et d’un centre communautaire offrant un large éventail d’utilisations, notamment des magasins, des restaurants et des espaces de vie.

L’Ouest rencontre l’Est au siège de Savills à New York

Le siège new-yorkais de Savills incite ses employés à revenir à leur bureau en important un peu de la culture des bureaux de la côte ouest. Les 5 850 m² du bureau de Midtown, situé au 399 Park Avenue, sont équipés d’un cold brew à la pression, de machines à expresso haut de gamme, de murs végétalisés et de plantes, d’une salle de contemplation et de bien-être. L’espace de travail comprend des bureaux debout, 11 salles Zoom, des cabines de téléphone insonorisées, ainsi que divers espaces de collaboration, des salles de réunion et un studio de podcast.

Ce besoin de changement des lieux de travail a entraîné une vague de rénovations de bureaux dans la plupart des grandes économies. Compte tenu des préoccupations croissantes concernant le changement climatique, les rénovations doivent respecter les réglementations environnementales si elles veulent répondre à la demande croissante des occupants pour des espaces durables et de haute qualité.

Dans le West End de Londres, le taux de rénovation devrait augmenter de 35 % (moyenne de 10 ans avant la pandémie) à 43 % (moyenne de cinq ans, 2023-2027).

Dans les conditions actuelles du marché, la nécessité d’investir dans le stock existant devient un défi. Ceci est plus prononcé sur les marchés continentaux, où le stock est souvent plus ancien. Alors que dans la plupart des endroits, la définition de « prime » s’est tellement rétrécie qu’une grande partie du stock de bureaux plus récents a également besoin d’être modernisée pour répondre aux futures normes environnementales.

Remettre à neuf ou réutiliser ? Dans tous les cas créons des bureaux verts

La possibilité d’obtenir des loyers plus élevés constitue une forte incitation pour les propriétaires. Cela s’aligne sur la tendance à la hausse prévue pour les loyers de premier ordre. Cependant, tous les bureaux ne pourront pas suivre cette trajectoire. Pour les immeubles de moindre qualité, la mise en conformité avec les nouvelles normes peut s’avérer prohibitive : les bureaux situés dans des zones commerciales moins prisées risquent de ne jamais attirer les locataires ni bénéficier d’une hausse des loyers justifiés par ces investissements. Dans ce cas, la reconversion reste la seule alternative possible.

James Evans, Responsable national de l’agence de bureaux chez Savills UK, déclare : « Les entreprises sont motivées par la façon dont elles peuvent attirer les meilleurs collaborateurs. Aujourd’hui, ils se trouvent dans un immeuble Prime, mais pas dans un immeuble de second ordre – alors que faites-vous de cet immeuble ? C’est un défi pour le propriétaire existant, mais cela peut être passionnant. Nous voyons apparaître des utilisations alternatives intéressantes dans les centres-villes, en particulier dans le secteur de l’éducation et de l’hôtellerie. Dans de nombreux cas, cela profitera à l’ensemble du site, car des bureaux fatigués et à moitié vides peuvent être transformés en utilisations plus dynamiques et plus fédératrices qui attireront les visiteurs. »

Dans son analyse de la dynamique de l’offre et de la demande sur six grands marchés mondiaux de bureaux, Savills estime qu’entre 0,7 % et 0,9 % du stock total de bureaux doit être réaffecté chaque année pour parvenir à un marché équilibré d’ici à 2033. En valeur 2023, cela équivaut à 929 000 m² (10,5 millions de ft²) du stock existant (soit l’équivalent de trois et quatre Empire State Buildings dans cinq villes) chaque année, jusqu’en 2033.

Besoin annuel de réaffectation des bureaux d’ici à 2033

Source: Recherche Savills

Les niveaux de réaffectation requis ne sont toutefois pas uniformes d’une ville à l’autre. C’est à New York que la transformation pourrait être la plus importante : entre 1,1 % et 1,3 % des espaces de bureaux devraient être réaffectés à d’autres usages chaque année pour atteindre l’équilibre d’ici à 2033. En revanche, les besoins de Sydney (0,3-0,7 %) et de Singapour (0,2-0,5 %) sont beaucoup moins importants.

L’ampleur du changement est un défi, mais l’éventail des utilisations alternatives s’élargit : le logement, l’hôtellerie, les sciences de la vie et l’éducation figurent tous en bonne place. À Sydney, un family office indonésien transforme l’ancien bâtiment de 15 étages de la Bank of China, situé à proximité de la gare Wynard, en hôtel dans le cadre d’un projet de réaménagement d’un montant de 30 millions de dollars australiens. À Londres, Oxford Properties s’est associé au spécialiste britannique des laboratoires Pioneer Group pour convertir plus des deux tiers des 27 870 m² de la Victoria House à Bloomsbury Square en un espace de sciences de la vie équipé de laboratoires d’expérimentation.

Tobias Frenz, CEO, Munich Re Singapore

À mesure que l’avenir du travail évolue, les espaces de travail collaboratifs, les modalités de travail flexibles et les environnements durables sont devenus la norme. Un environnement de travail qui favorise activement tous les aspects du bien-être renforce le sentiment d’appartenance et permet à nos employés de donner le meilleur d’eux-mêmes. En concevant le nouveau lieu de travail de Munich Re à Singapour, notre vision était de créer un espace où les employés se sentent connectés et soutenus grâce à divers espaces qui répondent à tous leurs besoins.

Lorsque vous entrez dans le bureau, vous bénéficiez d’une flexibilité et d’un choix quant à l’endroit où vous travaillez. Il y a des salles de collaboration pour les réunions d’équipe et des espaces de concentration pour travailler au calme. L’inclusivité est également une considération majeure : les postes de travail à hauteur réglable, les portes d’entrée automatisées, les boutons de sortie sans contact et les comptoirs d’office abaissés sont des exemples de petits ajustements mais essentiels pour s’assurer que le lieu de travail reste accessible à tous.

Notre engagement va au-delà de la fonctionnalité, il s’étend à la durabilité. En choisissant un bâtiment pour nos nouveaux bureaux, nous avons opté pour un bâtiment dont la philosophie en matière de développement durable est similaire à celle de notre entreprise. Dans nos bureaux, nous avons mis en place des capteurs et des minuteries d’éclairage pour gérer plus efficacement la consommation d’énergie. Nos espaces cuisines sont équipés de détecteurs de fuites d’eau qui coupent l’alimentation en eau en cas de fuite. Nos points de collecte des déchets reflètent le processus de gestion des déchets du bâtiment. Grâce à ces efforts collectifs, nous espérons réduire notre empreinte carbone d’environ 30 % au cours des cinq prochaines années.

Le soutien du secteur public aux bureaux durables

Toute transition réussie du parc de bureaux vers un éventail plus large d’utilisations nécessite le soutien du secteur public. Les gouvernements, les administrations municipales, les décideurs politiques et les planificateurs joueront un rôle central dans l’évolution des espaces de travail, grâce à des mesures incitatives, à la modification de l’utilisation des sols et au soutien d’environnements urbains durables. Les promoteurs peuvent également être encouragés à repenser le parc de bureaux vieillissant grâce à des incitations financières en faveur d’une plus grande densification. New York offre un bon exemple de la manière dont le secteur public peut soutenir le cycle de vie des bureaux dans une ville (voir encadré).

Pendant ce temps, à Singapour, le gouvernement impulse le changement grâce à son plan vert 2030, une feuille de route à long terme visant à rendre la ville plus durable et plus résiliente. La modernisation du parc immobilier est un élément clé de ce plan, car l’engouement pour les bâtiments verts a entraîné une hausse des taux d’inoccupation des bâtiments plus anciens du quartier central des affaires (QCA). Le gouvernement propose des subventions pour la rénovation écologique des immeubles, ainsi que des mesures d’incitation en matière de planification, notamment pour encourager une augmentation nette de la surface de plancher dans les projets à usage mixte. Cela présente l’avantage supplémentaire d’apporter un mélange d’utilisations pour animer le QCA pendant les week-ends et après les heures de bureau.

Alan Cheong, directeur exécutif de la recherche et du conseil chez Savills Singapore, déclare : « Qu’il s’agisse de l’écologisation des bâtiments anciens ou de la réaffectation des bureaux, le rôle du gouvernement devient essentiel pour atteindre ces objectifs. Singapour a offert des incitations à certaines zones dans l’espoir que les bâtiments anciens y soient réaffectés ou réaménagés pour des usages mixtes, insufflant ainsi une plus grande vitalité au centre des affaires le week-end et le soir« .
Ce type de réflexion prospective doit être appliqué aux espaces de travail dans le monde entier pour répondre aux besoins évolutifs des employeurs, de leur personnel et des villes dans lesquelles ils travaillent.

New York s’attaque au dilemme du bureau sur les deux fronts, en apportant son soutien à ceux qui ont besoin d’améliorer leurs bureaux et à ceux qui cherchent à les réaffecter.

Pour les bureaux existants, la New York City Economic Development Corporation et la New York City Industrial Development Agency ont lancé le Manhattan Commercial Revitalization Program (M-Core).

M-Core offre des avantages fiscaux aux propriétaires de bureaux de Manhattan afin de soutenir la transformation d’un maximum de 920 000 m² (10 millions de ft²) d’espaces de bureaux sous-performants. Les bâtiments éligibles doivent avoir une superficie supérieure à 23 000 m² (250 000 ft²), avoir été construits avant 2000 et être situés au sud de la 59rue.

La ville cible les projets qui apportent des améliorations techniques significatives, telles que de nouveaux systèmes de construction et des mesures d’efficacité énergétique (garantissant la conformité avec la loi locale 97, qui fixe des objectifs en matière d’émissions de carbone). A cela s’ajoute un objectif de nouveaux aménagements, avec les commodités et les considérations de bien-être que les locataires recherchent.

Les premiers bénéficiaires des allègements fiscaux M-Core sont le 175 Water Street, qui sera transformé en immeuble à usage mixte pour favoriser une communauté de locataires à forte croissance dans les domaines de la mode, des arts, de la création et de la technologie. Le 850 Third Avenue, lui aussi bénéficiaire de ces mesures, sera transformé en immeuble durable orienté vers les transports en commun, avec une plus grande présence sur la rue pour attirer une plus importante variété de locataires.

La ville utilise également la reconversion pour remédier à sa pénurie chronique de logements. Le programme New York City Office Conversion Accelerator rationalise la procédure d’autorisation pour les propriétaires qui souhaitent convertir des bureaux en 50 unités résidentielles ou plus. Il propose également des incitations financières et une assistance technique pour aider les promoteurs à gérer les complexités de la conversion. L’Accélérateur compte déjà 52 bâtiments participants et le bureau du maire estime que 12 millions de m² (135 millions de ft²) d’espaces de bureaux pourraient être convertis en 20 000 unités d’habitation.

Marisha Clinton, vice-présidente de Savills chargée de la recherche pour l’Est, basée à New York, déclare : « Ce sont les programmes des autorités locales tels que le NYC Office Conversion Accelerator et M-Core qui peuvent aider à faire bouger les choses de manière plus significative lorsqu’il s’agit de réaffecter et de rénover des bâtiments – ce qui les rend plus durables et plus attrayants pour les entreprises et les employés.»

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