Il n’y a pas que les matériaux que le changement climatique impacte. En effet, les conditions météorologiques extrêmes rendent tout aussi difficile le financement et l’assurance des bâtiments. Il n’est plus évident de trouver des investisseurs car investir se révèle plus risqué. Le coût de l’exploitation des bâtiments devient s’envole et leur occupation devient plus onéreuse. Le changement climatique est une menace multiforme pour le secteur immobilier, qui affecte les flux de trésorerie, la valeur et les performances financières à long terme.
Mais il offre également des opportunités. Les promoteurs, propriétaires et occupants déterminés ont tout à gagner d’une fuite vers les biens de premier ordre centrés sur l’immobilier résilient. Alors que l’adaptation au climat devient un critère essentiel dans les décisions d’investissement et d’expansion, les villes qui créent des infrastructures résilientes rendent leurs biens immobiliers plus attrayants pour les résidents, les entreprises et les visiteurs.
L’année 2024 a été marquée par des incendies dévastateurs, des tempêtes destructrices et des chaleurs extrêmes. En Europe, l’Espagne a été frappée par des inondations, l’ouragan Hélène a traversé le sud-est des États-Unis et la Grèce a connu l’été le plus chaud de son histoire météorologique.
Au niveau mondial, il s’agit de l’année la plus chaude jamais enregistrée et la première où les températures moyennes mondiales ont dépassé de 1,5 °C les niveaux préindustriels. Ce seuil critique ayant été franchi, les impacts climatiques deviennent plus imprévisibles. Les incendies de janvier 2025 à Los Angeles ont rappelé que 2024 n’était pas un cas isolé.
Températures moyennes mondiales par rapport à la moyenne préindustrielle
Le seuil de 1,5 °C a été franchi pour la première fois sur une base annuelle
Source : Savills Research utilisant le service de changement climatique Copernicus ERA5, la température de l’air à la surface du globe augmente au-dessus de la période de référence préindustrielle de 1850-1900 en moyennes quinquennales depuis 1850
Dans ce contexte, les villes et le secteur immobilier doivent agir rapidement pour rester des centres de commerce, d’industrie et de tourisme attractifs. Ils doivent protéger les populations, au risque d’une rupture sociale ou d’exode massif. L’adaptation nécessitera des investissements importants, mais ne pas s’adapter coûtera probablement plus cher.
« La capacité des bâtiments à se remettre des catastrophes naturelles et des événements météorologiques extrêmes sera cruciale pour la durabilité des actifs immobiliers », déclare Marylis Ramos, directrice de Savills Earth Advisory. « S’adapter aux risques dès maintenant permettra d’économiser en termes de coûts de réparation, de coûts d’assurance, de perte potentielle de locataires et d’atteinte à la réputation qui pourrait résulter de l’incapacité à protéger les bâtiments et les occupants contre les événements météorologiques extrêmes. »
Le risque croissant du changement climatique pour l’immobilier
Les conséquences immédiates des conditions météorologiques extrêmes sur l’immobilier sont les inondations des bâtiments, les coupures de courant dues aux tempêtes et les bureaux devenant trop chauds pour y travailler. Les impacts secondaires comprennent le risque croissant d’affaissement, une menace aggravée par l’extraction des eaux souterraines. New York, Shanghaï et Djakarta sont toutes des villes qui s’enfoncent, ce qui les rend plus vulnérables à l’élévation du niveau de la mer.
Le changement climatique rend les bâtiments plus coûteux à exploiter et à assurer, ce qui augmente les coûts de développement et rend l’immobilier moins attrayant pour les investisseurs. « La compréhension des risques financiers importants liés à tous les changements climatiques qui se produisent dans le monde est encore limitée », déclare Ramos. « Il est difficile pour les gens de comprendre que ces événements ont un lien avec leurs investissements. Mais de plus en plus, les investisseurs vont tenir compte de ces facteurs parce qu’ils n’auront pas le choix. »
Source: Savills Research
Les effets du changement climatique sur les coûts d’assurance
Les compagnies d’assurance sont parmi les premières à réagir aux conditions météorologiques extrêmes; simplement parce que leur modèle économique dépend de l’évaluation des risques. Selon l’assureur AON, les ouragans, les incendies et autres catastrophes ont causé 368 milliards de dollars de pertes en 2024.
Les coûts d’assurance ont donc augmenté en conséquence. Les biens suivis par l’indice trimestriel MSCI US Property ont vu les coûts d’assurance en pourcentage des revenus doubler au cours des cinq dernières années. Le Deloitte Center for Financial Services prévoit que les coûts de l’assurance des bâtiments commerciaux aux États-Unis augmenteront à un taux de croissance annuel composé (TCAC) moyen de 8,7 % jusqu’en 2030, et de 10,2 % dans les États présentant le risque de conditions météorologiques extrêmes le plus élevé.
Ces exemples concernent les États-Unis, mais le phénomène est mondial. L’augmentation des coûts d’assurance et des coûts opérationnels entraîne une hausse des loyers et une fuite des occupants vers des lieux moins risqués ou mieux adaptés. Lorsqu’il devient impossible de souscrire une assurance suffisante, les investisseurs ou les prêteurs doivent prendre plus de risques ou déplacer l’argent vers des actifs plus sûrs. Dans le même temps, les bâtiments deviennent moins vendables et plus illiquides, créant des actifs bloqués.
« Les impacts du changement climatique sur les événements météorologiques extrêmes et les tendances climatiques à plus long terme, par exemple l’élévation du niveau de la mer, ont des répercussions financières sur le secteur immobilier et augmentent le risque d’actifs bloqués », explique Sarah Brayshaw, consultante principale en risques climatiques et résilience chez Savills.
« Il existe des facteurs directs et indirects qui peuvent entraîner la perte d’un actif. Les facteurs directs sont les actifs qui ne peuvent pas retrouver leur état d’origine à la suite de dommages causés par un événement climatique extrême. Les facteurs indirects sont la baisse de la valeur marchande des bâtiments dans les zones fortement exposées aux risques climatiques. Cette situation peut être exacerbée par le fait que la couverture d’assurance est inabordable, voire indisponible, lorsque les assureurs cessent de souscrire de nouvelles polices dans les zones à haut risque. »
Pertes assurées mondiales par aléa climatique
Source: Savills Research avec AON
Les risques climatiques par secteur immobilier
Cependant, les secteurs ne sont pas tous touchés de la même manière. L’immobilier résidentiel tend à présenter le plus grand risque, car les logements ont des résidents permanents. Parmi eux, certains sont vulnérables et restent souvent longtemps dans un bien. En revanche, les unités industrielles ont généralement une durée de vie plus courte et sont moins susceptibles d’être situées dans les zones les plus à risque, comme sur la côte.
Mais il y a encore de multiples facteurs à prendre en compte. « L’emplacement est essentiel pour les unités industrielles et les infrastructures », déclare Tom Dearing, directeur associé – Climat et grands projets chez Savills. « De multiples liaisons de transport public et privé améliorent la résilience de l’accès pour la main-d’œuvre, et pour certaines installations, l’accès à plusieurs ports ou aéroports pour les chaînes d’approvisionnement ou les ventes offshore est important. Et, bien que toutes les installations ne puissent pas être autonomes en énergie, la production d’énergie renouvelable ou à faible émission de carbone sur site, associée au stockage de l’énergie, est intéressante non seulement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi pour pallier les coupures de courant. »
Risque, dépendance et adaptation : le point de vue de la ville
Pour protéger les biens et la prospérité, les villes doivent atténuer les risques et s’adapter. Lorsqu’elles atténuent les risques, elles réduisent leur contribution au changement climatique. Lorsqu’elles s’adaptent, elles préviennent ou atténuent les effets des conditions météorologiques extrêmes.
L’adaptation ne concerne pas que les bâtiments. Peu importe la résilience de votre bâtiment si les inondations perturbent régulièrement les infrastructures locales et laissent les occupants en plan.
Des villes entières doivent s’adapter pour protéger les infrastructures et rassurer les occupants, les investisseurs et les promoteurs. Les propriétaires fonciers sont plus enclins à payer un supplément pour développer des biens immobiliers résilients ou pour renforcer la résilience des bâtiments anciens lorsque des villes entières poursuivent activement des stratégies d’adaptation. La capacité d’une ville à réduire les risques climatiques pour son environnement bâti déterminera de plus en plus l’accessibilité des assurances.
Les villes sont confrontées à des menaces climatiques différentes et se trouvent à des stades de préparation différents. Tokyo est en tête de peloton. En 2022, elle a lancé le Tokyo Resilience Project, un plan visant à protéger la ville pour les 100 prochaines années contre les risques tels que les inondations, les tremblements de terre et les éruptions volcaniques, ainsi que leur impact potentiel sur les infrastructures et l’approvisionnement en électricité.
L’accent est mis en particulier sur la résilience des immeubles de grande hauteur. La Mori JP Tower de la ville, par exemple, a été conçue pour résister aux tremblements de terre et aux inondations. Elle dispose de son propre système de cogénération pour l’électricité et le chauffage, ainsi que d’un grand abri pouvant accueillir 3 600 personnes.
Mais pour toutes les villes, il reste encore beaucoup à faire. Notre carte met en évidence la vulnérabilité des villes mondiales qui figurent en tête de liste des investisseurs et des occupants internationaux. Elle donne également des exemples de la manière dont elles s’adaptent à ces risques.
Dans la section suivante, nous examinerons de plus près les adaptations qui font la différence, alors que les investisseurs et les assureurs analysent de plus en plus un ensemble de données – y compris les conditions météorologiques, les facteurs environnementaux et les registres historiques des catastrophes – pour évaluer les risques actuels et futurs liés au climat.
Comment les villes s’adaptent pour prospérer
Incendies
Le risque d’incendies de forêt augmente dans le monde entier, et de nouvelles zones plus étendues sont touchées. Los Angeles se remet actuellement des incendies de janvier 2025, qui étaient loin d’être les premiers dans la région ces dernières années.
Les trois quarts des incendies de forêt les plus destructeurs en Californie se sont produits depuis 2015. Bien que des réglementations plus strictes aient été introduites à la suite des incendies de 2018, elles n’ont pas été appliquées rétroactivement aux bâtiments existants, ce qui signifie que la majorité du parc immobilier n’était pas couvert.
L’Australie a un climat chaud et sec similaire. La Nouvelle-Galles du Sud compte à elle seule 1,4 million de propriétés situées dans des zones sujettes aux feux de brousse. Comme en Californie, de nouveaux codes de construction ont été introduits, qui comprennent en Australie un système de classement des risques basé sur l’intensité de la chaleur des feux de brousse à laquelle tout bâtiment est susceptible d’être exposé.
La maison Mt Coot-Tha à Brisbane est un exemple de conception de maison résistante dans la deuxième zone la plus exposée aux feux de brousse. Conçue par Nielsen Jenkins, la propriété est faite de matériaux résistants et protégée par de hauts murs en parpaings. Elle se trouve à l’intérieur d’un périmètre de « murs humides », des cours vertes et plates imitant des clairières de forêt qui absorbent l’eau de surface et agissent comme une mesure supplémentaire de protection contre les incendies.
L’eau
Le niveau de la mer augmente de 0,33 cm par an. Les villes sont également menacées par les crues soudaines causées par l’augmentation des précipitations et la fonte des neiges. Au-delà des dégâts physiques évidents, les propriétés situées dans des zones sujettes aux inondations risquent également de voir leurs primes d’assurance augmenter.
Tokyo et Amsterdam sont toutes deux des villes sujettes aux inondations et sont à l’avant-garde des efforts de résilience urbaine face aux inondations. Tokyo a construit un immense réservoir souterrain qui recueille l’eau des fortes pluies. Selon les estimations, ce développement permet d’éviter l’inondation de près de 30 000 logements chaque année.
Amsterdam adopte également une approche multidimensionnelle de l’adaptation aux inondations, notamment en menant des travaux novateurs sur l’immobilier flottant. La communauté de Schoonschip est un quartier flottant durable construit pour s’élever et s’abaisser en fonction du niveau de l’eau de la rivière.
Ho Chi Minh-Ville, au Vietnam, est confrontée à toute une série de défis liés à l’eau, notamment les inondations, l’intrusion d’eau salée dans le réseau d’eau de la ville et l’affaissement du sol. Ce dernier est souvent exacerbé par l’extraction excessive d’eau souterraine, que la ville a maintenant limitée. Parallèlement, l’intrusion d’eau salée peut aggraver les sécheresses et nuire à l’agriculture.
« Dans un contexte mondial, Hô Chi Minh-Ville est l’une des villes les plus exposées au changement climatique », déclare Troy Griffiths, directeur général adjoint de Savills Vietnam. « Prolongement du delta du Mékong, elle subit régulièrement des inondations néfastes, dues à la fois aux marées et aux fortes pluies de mousson. Le delta du Mékong est connu comme le grenier à nourriture du Vietnam. Le riz y est une culture clé. Cependant, l’intrusion d’eau salée et les inondations entraînent une baisse des rendements.»
« Les premiers essais de variétés de riz résistantes à l’eau salée sont en cours. En outre, le gouvernement vietnamien s’est concentré sur la planification générale afin de garantir une allocation efficace des ressources pour répondre aux besoins en matière d’infrastructures, notamment en ce qui concerne les inondations et l’atténuation de leurs effets. »
Chaleur
Les centres urbains du monde entier connaissent des vagues de chaleur plus intenses et plus longues, avec des conséquences dévastatrices. Plus de 70 000 décès supplémentaires ont été enregistrés lors de la canicule européenne de 2022. Face à cela, les villes doivent agir pour protéger la santé des citoyens et garantir l’approvisionnement en eau et en biens.
La climatisation agressive, coûteuse et nocive pour l’environnement, n’est pas une solution durable à la chaleur excessive. Une meilleure solution est le refroidissement urbain, un système dans lequel l’eau est collectée et refroidie dans un endroit centralisé, puis acheminée par des canalisations vers les bâtiments environnants pour maintenir la fraîcheur à l’intérieur. À Dubaï, ce système a permis d’atteindre des indices d’efficacité énergétique cinq à dix fois supérieurs à ceux des systèmes conventionnels.
Paris a adopté une approche innovante, en donnant la priorité à la création d’« îlots de fraîcheur » : des espaces urbains facilement accessibles qui permettent de se rafraîchir lors des fortes chaleurs. Il s’agit notamment de piscines temporaires, de zones de brumisation et de salles de refroidissement spécialisées. Un projet interconnecté a permis d’augmenter le nombre de fontaines d’eau de plus de 200, pour atteindre 1 273 depuis 2023.
« Ces développements sont nécessaires car l’Europe se réchauffe plus rapidement que la moyenne mondiale », déclare Elena Rivilla-Lutterkort, responsable du développement durable chez Savills en France. « Paris travaille en partant du principe qu’une augmentation moyenne de +4 °C est un scénario probable. En plus des îlots de fraîcheur, la ville a mis en place une ligne téléphonique en cas de canicule pour aider les personnes âgées et vulnérables. Plus de 10 000 personnes se sont inscrites à un service qui appelle les personnes figurant sur la liste et effectue des contrôles de bien-être par téléphone pendant les périodes de chaleur extrême.»
Mais rendre Paris plus résiliente à la chaleur n’a pas été sans controverse. « Le rythme de l’adaptation est délicat, car il peut être confondu avec la gentrification, ajoute Rivilla-Lutterkort. La création de nouveaux espaces verts a attiré des ménages plus aisés, ce qui modifie la dynamique des prix de l’immobilier autour des espaces mieux adaptés. »